En neuf mois la pandémie de coronavirus a tué un million de personnes dans le monde. Les médecins, infirmiers et aides-soignants sont en première ligne. Voici les soignants qui se sont sacrifiés pour soigner les malades du Covid. Poignant.

Les soignants qui se sont sacrifiés pour soigner les malades du Covid, ne les oublions pas!

Li Wenliang, médecin à Wuhan en Chine

Le Docteur Li est l’homme qui a tenté de prévenir le corps médical de l’émergence d’un nouveau fléau, fin décembre 2019. Il est décédé à 33 ans de la Covid-19 le 7 février 2020. Seuls les réseaux sociaux honorent encore ce père de famille. A Wuhan, personne ne sait aujourd’hui où reposent . Les autorités chinoises ont effacé le souvenir du premier héros de la lutte contre le coronavirus en supprimant les cendres du docteur Li. Personne ne sait où elles sont. Et il y a ni ni monument, ni plaque pour se recueillir. Il ne reste plus que les réseaux sociaux honorent encore

Nous sommes le 30 décembre. L’hôpital central de Wuhan vit des heures étranges ; les personnels soignants sont perplexes. Depuis quelque temps, des patients frappés d’une mystérieuse infection respiratoire arrivent aux urgences. Certains guérissent, d’autres meurent de complications pulmonaires. L’ophtalmologue qui a lu l’analyse d’une consœur, pense très vite à un co-ronavirus. Ce jour-là, à 17 h 43, il partage son inquiétude avec sept anciens camarades de l’université, sur la messagerie privée WeChat. « Il y a sept cas confirmés de sras au marché de gros de fruits de mer de Wuhan », écrit-il. L’histoire n’a pas retenu le nom de celui qui a publié ensuite sur Internet des captures d’écran du message… « Quand j’ai vu les images circuler en ligne, j’ai compris que ça devenait hors de contrôle et que j’allais être puni », expliquera plus tard le docteur Li.

Le 1er janvier, il est interpellé par la police pour « fausses rumeurs » avant d’être libéré le 3 janvier contre sa signature au bas d’un procès-verbal où il admet avoir perturbé l’ordre social. Le médecin est en réalité coupable d’avoir eu raison trop tôt : lui et ses collègues de l’hôpital central de Wuhan ont deviné que le nouveau virus était transmissible à l’homme. Il fau-dra pourtant attendre le 20 janvier pour que l’information soit validée au plus haut niveau et que le président Xi Jinping tire la sonnette d’alarme.

Entre-temps, le Covid a franchi les frontières et le docteur Li est retourné auprès de ses patients. Autour de lui, infirmiers et médecins tombent malades les uns après les autres. Comme le révélera une étude publiée en septembre par The Lancet, les soignants courent en moyenne trois – quatre fois plus de risques d’être infectés que le reste de la population. Le docteur Li est contaminé le 8 janvier. Le 10 janvier, il tousse et tremble de fièvre. Le 12, il est hospitalisé. Faute de tests Covid en nombre suffisant, le diagnostic lui parvient seulement le 1er février. Alors qu’il lutte pour sa vie, il se lance dans un plaidoyer sur la liberté d’expression. « Je pense qu’il devrait y avoir plus d’une voix dans une société saine », déclare-t-il de-puis son lit d’hôpital, une semaine avant sa mort. Ce seront ses derniers mots.

Le 7 février, la nouvelle de la mort du médecin est divulguée par l’hôpital sur le réseau social Weibo. Il est 2 h 58. Aussitôt, des millions de Chinois déversent sur les réseaux sociaux leur colère à l’égard des officiels locaux, accusés d’avoir caché la vérité. L’émotion retombe, les internautes passent à autre chose. Même sa veuve préfère se taire, à part pour annoncer sur Internet la naissance d’un deuxième gar-çon. Le 8 septembre, date choisie par les autorités pour célébrer « la victoire de Chine » contre le coronavirus, 1 499 personnes ont été distinguées, dont certaines à titre posthume. Le docteur Li Wenliang ne faisait pas partie de la liste…

Roberto Stella, médecin à Busto Arsizio, Italie

En Europe, les « mandarins » de la médecine observent sans s’affoler la bataille menée à 7 000 km de là par leurs confrères chinois. Le bilan relativement faible des victimes, 4 634 morts officielle-ment, et la concentration de l’épidémie à Wuhan, n’incite pas, il est vrai, à sonner l’alerte générale. En réalité, au moment où la Chine se confine, le virus circule déjà à l’étranger. Signalée dès janvier en Italie, la peste des temps modernes se répand dans la région lombarde en février. Début mars, les malades affluent, les premiers morts tombent. Les compteurs s’affolent : dix par jour, cent, jusqu’à un millier le 27 mars, au pic de la crise. En Italie comme en France, en Espagne puis, plus tard, au Royaume-Uni, on n’a ni les outils, ni l’expérience, ni la stratégie pour affronter cette pandémie. Les hôpitaux de la riche Lombardie sont asphyxiés sous l’afflux des patients. Le Covid fauche au passage le personnel soignant. Roberto Stella, médecin généraliste, a résisté cinq jours avant de succomber.

A Busto Arsizio, ville de 83 000 habitants proche du lac de Côme, nul n’ignore cet homme enterré à l’âge de 67 ans. Il a été le premier des 176 médecins italiens décédés de la maladie, la majorité étant des généralistes de famille, plus âgés que ceux des hôpitaux. Dans la salle d’attente du dispensaire médical où il officiait, une grande photo de lui veille sur les patients. Président de l’Ordre des médecins de la province de médecin à l’ancienne, fidèle à son cabinet boisé, orné de livres, et ja-mais avare d’une visite à domicile. C’était le genre « à poser la main sur l’épaule de ses patients et à ne pas pouvoir faire un pas dans la rue sans être salué et arrêté pour discuter », détaille son collègue et ami Alessandro Colombo. « Un gladiateur », ajoute un confrère, l’urgentiste Saverio Chiaravalle.

Comme tant d’autres soignants décédés dans les premiers temps de l’épidémie, Roberto Stella a multiplié les risques de contracter le mal en travaillant sans équipement adéquat. Ce père de deux enfants était en bonne santé, il a d’abord pensé d’abord aux autres. « Personne n’utilisait alors de masques ni de visières, encore moins de tenues de scaphandriers comme aujourd’hui ! », rappelle un autre camarade, le chirurgien dentiste Dino Azzolin.

En ce mois de mars, l’intendance, nerf de la guerre, ne suit pas. La Chine, qui a fort à faire pour protéger son 1,4 milliard d’habitants et produire des mil-lions de tests, a cessé provisoirement d’être l’usine du monde. Partout, les stocks s’épuisent. La Lombardie, et bientôt l’Europe entière, court après les blouses et les masques FFP2 que le grand public apprend à épeler. À l’hôpital, on bricole à la va-vite du maté-riel de protection. « L’ennemi était inconnu, poursuit Dino Azzolin. Roberto Stella l’a affronté à mains nues et doublement du fait de ses responsabilités, en participant à des réunions sur le territoire avec la préfecture, les hôpitaux, le ministre de la santé… » quinze jours. Roberto Stella, lui, a travaillé jusqu’à la veille de son intubation. « Il était engagé, vif, précis, décidé, énumère Marco Cambielli, qui l’a remplacé à l’Ordre des médecins de Varèse. Responsable de la formation continue des médecins, Roberto avait déjà élaboré un cours à distance sur l’état des connaissances sur le Covid. Il avait toujours un temps d’avance. »

James Mahoney, médecin à New York

L’épidémie déferle en premier lieu sur la métropole de New York. La contamination est fulgurante, incontrôlable. Entre le 21 mars et le 6 avril, la ville passe de 10 000 cas à plus de 130 000. À l’hôpital universitaire de Brooklyn, le docteur Robert Foronjy a réuni les cinq médecins de son unité de soins pulmonaires avant l’arri-vée de la vague. « Les choses vont se détériorer à New York. Qui veut prendre une pause ? », demande-t-il. Personne ne se défile. James Mahoney, 62 ans, devait partir à la retraite. « Il l’a reportée, se sou-vient Robert Foronjy. Et même s’il était parti, il serait revenu. » En presque quarante ans de carrière, James Mahoney a été de tous les combats : sida, épidémie de crack, 11-Septembre, ouragan Sandy, grippe aviaire et sras… Cet Afro-Américain n’a jamais quitté ce petit hôpital public de 350 lits, dressé au milieu d’East Flatbush.

L’annonce de sa mort, le 11 mars, a coïncidé avec le début du confinement total en Italie. Quand la nouvelle est tombée, ses confrères ont tenu bon. « Avec l’autre collègue vaillant et le personnel administratif mis en télétravail, nous avons fait de notre mieux pour assurer la continuité du service, témoigne Carlo Campiglia, associé de Roberto­ Stella depuis plus de quinze ans. Pas un jour, pas une heure nous n’avons fermé, même pendant le confinement. » Leur compagnon de route parti trop tôt aurait agi de même, pensent ceux qui l’ont connu. « Frère, nous sommes ici pour travailler et pour combattre », a-t-il lâché à Saverio Chiaravalle, médecin-chef des urgences d’un hôpital de Milan, lors de leur dernière entrevue.

Après la Lombardie, le monde se replie. Il est souvent trop tard : la fermeture des frontières ne peut interrompre la course du microbe. Le virus fauche des dizaines de milliers de vies en Europe, puis part effectuer sa moisson de l’autre côté de l’océan. Dès février, l’Amérique se savait menacée et pour-tant, son président Donald Trump a refusé de déclencher la mobilisation générale. Est-ce de l’aveugle-ment ? De l’impuissance ? De l’indifférence ? Difficile de se mettre dans la tête de l’hôte de la Maison-Blanche. Seule certitude, la première puissance mondiale n’a pas tiré les leçons du drame italien. Quatre des six médecins de l’ambulatorio où travaillait Roberto Stella sont tombés malades. Un a dû être hospitalisé pendant quartier noir défavorisé de l’est de Brooklyn. Il travaillait également trois soirs par semaine au centre hospitalier Kings County, donnait des cours. « Quand il a commencé, il était l’un des seuls Noirs à enseigner. Il a offert un exemple puissant à toute une génération de médecins, en particulier afro-américains », souligne Robert Foronjy.Début avril, les digues du système de santé sautent sous l’afflux des malades. On parle de médecine de catastrophe, avec ses tris douloureux entre ceux qui bénéficieront d’un respirateur artificiel et les autres. À l’hôpital universitaire de Brooklyn, le nombre de malades en soins intensifs passe de 10 à 70. James Mahoney passe d’un patient en détresse à l’autre, prête main forte à ses collègues en difficulté. « Concentré, il menait la charge alors que nous étions submergés », se remémore Robert Foronjy.

Les blouses et les masques manquent ici comme ailleurs. Plu-sieurs infirmiers et médecins de l’hôpital tombent malades. James Mahoney qui était en surpoids est le seul à avoir perdu la vie. Il était père de trois enfants. Ses collègues ont pu l’accompagner dans ses derniers instants, le 27 avril. « Cela me donne un peu de paix de savoir qu’il n’est pas mort seul, comme beau-coup de New-Yorkais », glisse Robert Foronjy qui assure le suivi des patients de son ancien collègue. « Il était la colonne vertébrale de notre petite équipe. C’est comme si on nous avait arraché le cœur. »Le nom de James Mahoney est venu s’ajouter à la longue liste des soignants afro-américains décédés du Covid. Selon des chiffres collectés par les journalistes du Guardian et de KNH (média spécialisé dans la santé), ils représentent près d’un tiers des 1 198 victimes chez les salariés américains de la santé. Les collègues de James Mahoney ont lancé une campagne de levée de fonds destinée à créer une bourse pour un étudiant en médecine issu de la population noire. Le calme est revenu dans les couloirs. Le docteur Robert Foronjy espère que le quartier passera entre les gouttes d’une seconde vague grâce à l’immunité collective.Pendant que New York honore ses défunts, le virus poursuit ses ravages. À la fin de l’été, les morts se comptent par centaines de milliers chez les patients et par milliers chez les soignants. « Le personnel médical représente en moyenne 14 % des cas de Covid », s’alarme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 17 septembre. Passée l’adrénaline des premières semaines, la fatigue et le stress usent ceux qui com-battent le Covid en première ligne. En Afrique du Sud et en Inde, infirmiers et médecins manifestent pour réclamer de meilleures conditions de travail et des protections adéquates. Des exigences en partie satisfaites en France.

Esthela Yessenia Torres Rodriguez,infirmière à Ojocaliente au Mexique

Pour les soignants, le Mexique au temps du Covid est devenu l’endroit le plus dangereux de la planète. Ce grand pays d’Amérique centrale enregistre le triste record d’au moins 1 400 décès chez les blouses blanches (sur un total de 73 000 victimes), dont une majo-rité d’infirmières.À l’entrée de la ville d’Ojocaliente, au nord de Mexico, une fresque rend hommage à l’une d’entre elles : « En mémoire d’Esthela Yessenia Torres Rodriguez », peut lire l’automobiliste au ralenti. L’histoire de cette infirmière de 33 ans résume à elle seule les dé-boires du système sanitaire mexi-cain dont les défaillances éclatent au grand jour. La jeune femme travaillait pour un hôpital réservé aux employés de la fonction publique. Nous sommes au mois de juillet, et les patients déferlent dans son établissement. Le personnel manque de masques et de visières. La pénurie de tests est telle qu’il faut trier parmi les soignants atteints de symptômes ceux qui auront le droit de se faire dépister, déplore Norma Castorena, déléguée syndicale.

Aux dires de sa sœur, Esthela Yessenia Torres Rodriguez ne sait ni quand, ni comment elle a attrapé le virus. Lorsque son hôpital a décidé de lui faire passer un test, il était trop tard. L’infirmière avait un profil à risque : elle souffrait d’hypertension, et une pneumonie l’avait affaiblie il y a deux ans. Son état s’est aggravé rapidement. Elle décédera quatre jours après son intubation. Pour ses proches, une nouvelle épreuve débute. Lorsqu’un oncle se présente le 27 juillet à la morgue de son hôpital, il découvre le corps d’une in-connue. « Ce n’est pas ma nièce, où est ma nièce ? », demande-t-il stupéfait au personnel qui le presse.Dans le chaos provoqué par le Covid, sa dépouille a disparu. « Rentrez chez vous, vous allez tomber malade », répondent avec désinvolture les fonctionnaires du ministère de l’intérieur à la famille endeuillée. La Commission des droits de l’homme s’en mêle, une plainte en justice est déposée. L’administration consent enfin à ouvrir un dossier. On découvre que le corps de la défunte a été donné à une autre famille qui a découvert l’erreur trop tard : la crémation avait déjà eu lieu.Personne n’avait osé soulever le linceul de peur d’attraper le Co-vid. Au bout de vingt-six jours, les cendres d’Esthela Yessenia Torres Rodriguez ont été rendues à ses proches. L’affaire est passée quasiment inaperçue au Mexique. Quand les morts se comptent par dizaines de milliers, qui s’intéresse encore aux infirmières ?

 

Sources :

Les soignants qui se sont sacrifiés pour soigner les malades du Covid – Dossier à retrouver dans La Croix

Olivier Tallèsavec Fleur de La Haye (à Rome), Alexis Buisson (à New York)et Diego Calmard (à Mexico)