L’effet placebo par Boris Cyrulnik

Agnès Buzin a annoncé le prochain déremboursement de l’homéopathie. En 2021, ce sera terminé. En attendant, une transition d’un an est proposée : à partir du 1er janvier 2020, les traitements homéopathiques seront remboursés à hauteur de 15 % par la Sécurité sociale, contre les 30 % actuels. De quoi se (re)questionner sur l’homéopathie et ses effets. Et si elle s’apparentait à un placebo ?

Biologie des croyances…
Boris Cyrulnik

« Ce qui m’étonne, c’est qu’on s’étonne de l’effet placebo. Il est pourtant facile de démontrer que les mots prononcés autour d’une substance modifient son effet biologique. Les mots agissent sur la matière.

Si vous ne me croyez pas, je vous propose l’expérimentation suivante : insultez votre voisin en public et à voix forte. Il va rougir ou pâlir, son cœur va s’accélérer, ses mimiques faciales vont exprimer son étonnement, sa colère ou sa honte. Vous venez d’obtenir la preuve qu’en agitant votre langue pour produire un mot, vous avez modifié son fonctionnement cérébral et sa sécrétion des neuro-hormones qui agissent sur son organisme. Si, dans une relation plaisante, vous prescrivez à votre patient une substance enrobée de mots sécurisants et fortifiants, comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? En agissant ainsi, vous plantez dans son âme une représentation qui apaise son corps.

L’effet placebo, en fait, nous pose le problème de la matérialité de la croyance. Pour valider la puissance des représentations, je vous propose d’inviter une amie au restaurant. Elle arrive, élégante, en portant dans ses bras un petit pékinois à face aplatie et à longs poils beiges assortis au manteau de sa propriétaire.

Le repas est délicieux, la relation est gaie, jusqu’au moment où elle demande : « Quel est ce délicat plat de viande avec cette sauce étrange ? » Répondez alors : « C’est votre pékinois qui a été cuisiné. » J’affirme que votre amie ne pourra pas avaler la bouchée et que, peut-être même, elle aura un malaise. L représentation de son petit chien cuisiné provoquera un dégoût plus fort que la perception du bon goût de sa viande en sauce.

La croyance fait partie de la condition humaine puisque nous appartenons à l’espèce la plus apte à habiter les représentations que nous inventons. Parfois cette représentation nous plaît et nous sécurise, c’est un effet placebo. Quand nous prions pour une amie qui souffre d’une grave maladie, nous avons fait ce que nous pouvions pour aider celle qu’on aime. Nous nous sentons mieux : prier pour elle nous  bien soignés. Mais si elle croit que nos prières lui jettent un mauvais sort, la maladie suivra son cours et elle se sentira encore plus mal. Ce sera un effet nocebo.

Je me souviens d’un patient qui souffrait de tortures anxieuses. C’était l’époque du mythique rythme alpha où des chercheurs en psychophysiologie vendaient de petits boîtiers censés réguler ce rythme et apporter la paix intérieure. Je lui pose le casque sur la tête, mais il est tellement effrayé à l’idée de modifier les rythmes électriques de son cerveau que je préfère l’enlever. Le patient se dit encore plus anxieux qu’à son arrivée. C’est alors que je découvre que j’ai oublié de mettre des piles dans le boîtier. C’est le récit technico-magique du mythe alpha qui avait justifié l’invention de cette machine qui n’envoyait aucune impulsion. Et c’est l’idée de recevoir des ondes électriques qui avait aggravé l’angoisse du patient.

Finalement l’effet placebo-nocebo n’est peut-être que l’analyse scientifique du phénomène naturel d’un être pensant qui se soumet à ses représentations. À vous de juger. »

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