Site icon Santecool

Le scandale du Médiator, le combat d’une femme

Le-scandale-du-Médiator-le-combat-d-une-femme-santecoolDans son hôpital de Brest, une pneumologue découvre un lien direct entre des morts suspectes et la prise d’un médicament commercialisé depuis 30 ans, le Mediator. De l’isolement des débuts à l’explosion médiatique de l’affaire, l’histoire inspirée de la vie d’Irène Frachon est une bataille de David contre Goliath pour voir enfin triompher la vérité.

 

 

 

Entretien avec Emmanuelle Bercot

 

Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

J’avais entendu parler de l’affaire du Mediator comme tout le monde, mais sans y prêter une attention aiguë. Je me souviens avoir été frappée par une déclaration du député Gérard Bapt à la radio, mais l’affaire ne me passionnait pas plus que ça. Ce sont les productrices d’Haut et Court,

Caroline Benjo et Carole Scotta, qui se sont intéressées au livre d’Irène Frachon (1) et qui m’ont demandé de le lire. Dans la mesure où c’était à Irène Frachon de décider à qui elle préférait confier l’adaptation de son livre, j’ai déjeuné avec elle, à Paris, quelques mois après la sortie du livre, c’est-à-dire il y a près de six ans. J’ai tout de suite compris que cette femme haute en couleurs pouvait être un extraordinaire personnage de fiction. Racontée par elle, avec toute sa passion, avec toute son émotivité, l’affaire prenait un tout autre relief. Ce n’était plus l’histoire du Mediator, mais le combat de cette femme hors du commun.

Comment Irène Frachon vous est-elle apparue lors de cette première rencontre ?

Très naturelle, très spontanée, pas du tout politique. Une personne ordinaire à qui est arrivée une histoire extraordinaire. Quelqu’un qui n’agit pas par calcul. Dotée d’une énergie incroyable, une espèce de rouleau compresseur à la très grande joie de vivre. Irène rit beaucoup, même quand elle raconte des choses graves. Très émotive, elle passe assez vite du rire aux larmes. Son langage est assez fleuri, donnant l’impression de quelqu’un qui met sans arrêt les pieds dans le plat, et se fiche des conventions. Avançant sans cesse, quoi qu’il en coûte.

A l’issue de ce déjeuner qui avait lieu non loin du ministère de la Santé, j’ai dit à Caroline que j’étais partante à condition que le film soit l’histoire de cette femme. Et, finalement, on a eu la chance qu’Irène Frachon nous choisisse.

 

A un moment s’est donc posée la question redoutable de savoir qui allait interpréter le rôle d’Irène Frachon.

Cette question, je me la suis posée immédiatement, avant même d’écrire le scénario. J’étais incapable d’y apporter une réponse. Je ne voyais aucune actrice française susceptible d’interpréter ce rôle. Vous imaginez le souci : pendant environ trois ans, à mesure que j’écrivais le scénario, je ne voyais pas qui allait être Irène Frachon.

La solution, c’est Catherine Deneuve qui l’a trouvée. Un soir qu’on dînait toutes les deux – on venait de finir La Tête haute – elle m’a parlé de l’actrice danoise qui joue dans Borgen. « Vous devriez regarder cette série, cette actrice serait formidable pour ce rôle, et je crois qu’elle parle français », ajouta-t-elle.

Dès le lendemain, je me suis précipitée sur Borgen. Et j’ai aussi trouvé une interview de Sidse Babett Knudsen dans laquelle, effectivement, elle s’exprimait, certes avec un accent, mais dans un relativement bon français.

Ensuite, tout est allé très vite. Avec Caroline Benjo, nous sommes parties pour Copenhague. La rencontre s’est très bien passée. Sidse a lu le scénario qui, à l’époque, était encore un work in progress. Et, très vite, elle a accepté. Très franchement, si Catherine Deneuve n’avait pas eu cette idée, je pense que personne n’aurait pensé à Sidse pour ce rôle !

Restait à en informer Irène Frachon, qui était depuis le début très curieuse de savoir qui allait l’incarner. Nouveau déjeuner. Nous étions à vrai dire très inquiètes. N’allait-elle pas trouver ça bizarre que nous ayons choisi une actrice danoise dont elle n’avait jamais entendu parler ?

C’est tout l’inverse qui s’est produit. A peine avions-nous prononcé le nom de Sidse, qu’elle s’est mise à crier. Elle était…extatique ! Nous ne le savions pas, évidemment, mais toute la famille Frachon est fan de Borgen. Pour Irène, être incarnée par Sidse relevait du rêve absolu.

Dans votre vie, aviez-vous déjà eu affaire au milieu médical ?

Beaucoup. Je pense d’ailleurs que c’est une des raisons pour lesquelles Irène Frachon a eu envie de me confier son histoire. Mon père était chirurgien cardiaque à l’hôpital Lariboisière, à Paris. Moi-même, pendant longtemps, j’ai voulu être chirurgien. Mes loisirs préférés du mercredi, du samedi, c’était d’aller voir mon père opérer. Dès l’âge de 10-12 ans, j’ai passé beaucoup de temps dans les blocs opératoires. J’ai fait mon stage de 3e à Lariboisière, dans plusieurs services de chirurgie. J’ai toujours eu une fascination pour le milieu hospitalier. J’aime aller à l’hôpital. Je m’y sens bien. Je pense qu’Irène a été sensible à ça.

 

Irène Frachon a dit à plusieurs reprises qu’il faudrait une loi qui punisse ceux qui attaquent les lanceurs d’alerte. Je suppose que vous êtes d’accord ?

Oui, mille fois d’accord. Les lanceurs d’alerte devraient être protégés et on devrait punir ceux qui les attaquent. C’est pourtant l’inverse qui vient de se produire lors d’un procès, au Luxembourg. Les lanceurs d’alerte ont été condamnés. Un tribunal a ainsi pu dire à un lanceur d’alerte : « Vous avez eu raison de révéler ces faits, mais comme c’est interdit, vous êtes condamnés. » C’est révoltant !

 

A votre avis, quel est le moteur du courage d’Irène Frachon ? Son sens aigu de la justice ?

Son pur instinct de médecin. Sa vocation sincère. Elle qui n’a jamais cherché à faire carrière est, de l’avis général, un très bon médecin. Une grande scientifique peut-être pas, mais une excellente praticienne, ça oui. Avec du flair et du génie dans ses diagnostics.

Si elle a réussi à aller au bout de son combat, c’est avant tout, je crois, du fait de son immense empathie pour les victimes. Et aussi de sa déontologie. Irène Frachon, c’est une Juste. Une pure. Dans sa grande candeur, elle ne voit pas le mal. Elle n’est médecin que pour accompagner et soigner les gens. Elle ne recherche pas le pouvoir et, du même coup, n’a jamais eu peur de se mouiller.

Comment Sidse Babett Knudsen a-t-elle à ce point réussi à endosser ce rôle ?

Avant le tournage, elle n’avait pas beaucoup parlé avec Irène. Elle tournait aux Etats-Unis ce qui l’a contraint à n’arriver qu’une semaine avant le tournage. Mon souhait était d’arriver à rendre compte à la fois de l’énergie incroyable et de la fantaisie d’Irène Frachon, qui est ce qu’on appelle « un personnage » dans la vie. Cet aspect des choses, nous l’avons beaucoup travaillé avec Sidse. La démarche d’Irène, ses attitudes physiques, Sidse et moi avons cherché à les restituer.

Ça a pris un peu de temps à Sidse avant de « choper » le personnage et de se glisser dans la peau de cette femme inépuisable qui peut être aussi épuisante.

Son bagout, sa vitalité, sa fantaisie verbale, sa joie de vivre à toute épreuve. On n’a jamais cherché l’imitation stricte, mais elle n’avait sans doute pas eu suffisamment le temps d’observer Irène. Il lui a suffit ensuite d’un après-midi passé dans la famille Frachon pour qu’un déclic se produise. Le travail sur les costumes a également participé au processus d’incarnation. Je tenais par ailleurs à ce que le rythme du film soit soutenu, et Sidse a fourni un travail colossal sur le débit et la prononciation des dialogues.

(1) Mediator 150mg, un livre d’Irène Frachon préfacé par Rony Brauman, editions-dialogues.fr (150 pages, 15,90 euros – 2010)

LA FILLE DE BREST

UN FILM DE EMMANUELLE BERCOT, avec SIDSE BABETT KNUDSEN et  BENOÎT MAGIMEL

D’après le livre d’Irène FRACHON « MEDIATOR 150 MG »

AU CINÉMA LE 23 NOVEMBRE

Quitter la version mobile