Jean-François Rapin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » et Thierry Meignen, rapporteur spécial des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » ont présenté le mercredi 23 février 2022 devant la commission des finances les conclusions de leur contrôle budgétaire relatif aux Instituts hospitalo-universitaires et au financement de la recherche biomédicale en France.
LES IHU CONSTITUENT UN MODÈLE NOVATEUR, AYANT RÉUSSI À COMBLER CERTAINES DES LACUNES RELATIVES À L’ORGANISATION ET AU FINANCEMENT DE LA RECHERCHE BIOMÉDICALE EN FRANCE
UN PILOTAGE DÉFICIENT, DES FINANCEMENTS FRACTIONNÉS ET INSUFFISANTS : LA SANTÉ, PARENT PAUVRE DE LA RECHERCHE FRANÇAISE ?
1. Un déficit persistant de pilotage stratégique et de coordination des acteurs impliqués dans la recherche en santé
Le pilotage de la recherche biomédicale fait intervenir deux tutelles ministérielles, à savoir le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri) et le ministère des solidarités et de la santé (MSS).
Cette double tutelle se traduit par un clivage entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, qui obère la continuité des projets académiques le long de la chaîne de l’innovation, avec pour conséquence un déficit de financement pour la recherche translationnelle, qui permet de préparer le premier essai clinique chez l’homme. Cette segmentation empêche par ailleurs les pouvoirs publics de disposer d’une vision globale des efforts de recherche en santé.
À ce pilotage défaillant s’ajoute un déficit de coordination entre les multiples acteurs qui prennent une part active à la recherche biomédicale. Ainsi, le rôle joué par l’alliance thématique de recherche dédiée à la santé, intitulée Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) demeure en réalité très limité. En parallèle, les principaux guichets de financement sur projets fonctionnent en silos, leurs programmations restant parfaitement étanches. Enfin, la collaboration entre les universités et les organismes de recherche d’une part, et l’industrie d’autre part, se révèle encore malaisée.
2. Un budget globalement très insuffisant, associé à un émiettement des financements publics : la difficulté à dégager des fonds en faveur de la recherche translationnelle
Au cours de la dernière décennie, la recherche française en santé a fait l’objet d’un sous-investissement particulièrement marqué. Entre 2009 et 2021, le budget consacré par la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » à la recherche en biologie-santé a ainsi chuté de 21 % en euros constants. Cette tendance s’est par ailleurs accentuée sur la période récente, puisqu’entre 2015 et 2018, la dépense publique de recherche en santé a diminué de 15,7 % en France, tandis qu’elle augmentait de manière significative chez la plupart de nos partenaires européens.
Le soutien public à la recherche biomédicale se révèle également très morcelé, avec la coexistence d’une multitude de canaux et d’agences de financement. Or, non seulement la diversité des règles afférentes aux appels à projets nuit à l’efficience des financements publics, mais en plus cet émiettement rend ardue toute tentative de consolidation des moyens publics alloués à ce secteur, et obère donc considérablement les capacités d’orientation stratégique des pouvoirs publics.
LES INSTITUTS HOSPITALO-UNIVERSITAIRES : DES STRUCTURES VISIBLES, CAPABLES DE MOBILISER DES FINANCEMENTS CONSÉQUENTS AU SERVICE DE LA RECHERCHE TRANSLATIONNELLE
1. La création de sept IHU pour répondre à l’ambition de donner un nouveau souffle à la recherche biomédicale en France
Les Instituts hospitalo-universitaires (IHU) sont nés des travaux de la Commission sur l’avenir des centres hospitalo-universitaires (CHU)1, présidée par le professeur Marescaux, en 2009. En pratique, le modèle proposé à travers les IHU était celui d’un rapprochement entre soins et recherche, assorti d’une relative autonomie par rapport aux CHU et aux organismes publics.
La création de ces structures devait permettre à la France de disposer de centres d’excellence au niveau des meilleures institutions internationales en matière de recherche, de soins et de formation, de stimuler durablement la compétitivité en France en favorisant le développement de la filière industrielle biomédicale et enfin de dynamiser la recherche au-delà du périmètre des IHU.
Un premier appel à projets, organisé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du premier programme d’investissements d’avenir (PIA 1) a permis de faire émerger six IHU, auxquels ont été attribués 349,3 millions d’euros pour une période de 8 ans. En 2017, dans le cadre du PIA 3, un second appel à projets a abouti à la sélection d’un 7ème IHU, doté de 50 millions d’euros sur 10 ans.
2. Un regroupement géographique d’acteurs permettant de rapprocher efficacement, autour d’une même thématique, recherche fondamentale et recherche clinique, structures publiques et partenaires privés
Si les IHU se caractérisent actuellement par une grande hétérogénéité, les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction que le succès de ce modèle repose sur le triptyque suivant : une structure autonome, un lieu unique réunissant tous les acteurs, une thématique de recherche.
Les IHU ont ainsi vocation à regrouper sur un même site les acteurs des activités de soin, de recherche, de valorisation et d’enseignement, afin de développer des actions synergiques dans un secteur donné.
Le sentiment, très largement partagé par les organismes de recherche et les tutelles ministérielles, d’un modèle original ayant fait la preuve de son efficacité, a été objectivé par le jury international des IHU dans sa dernière évaluation. Le bilan sur dix ans des données relatives au nombre de projets de recherche translationnelle, au nombre d’articles publiés ou encore à l’impact de ces publications s’avère ainsi extrêmement positif.
3. La dotation allouée aux IHU : un accélérateur vertueux, permettant de renforcer l’attractivité des structures et de diversifier leurs sources de financement
L’octroi du label et de la dotation IHU a considérablement renforcé la visibilité de ces structures, leur permettant de recruter les meilleurs talents internationaux et de mobiliser plus efficacement diverses sources de financement.
Le modèle économique des IHU repose ainsi en grande partie sur les recettes issues des contrats industriels ou de leurs activités de valorisation (dépôts de brevets, création de start-up). Étant donné la relative autonomie financière dont ils bénéficient, les instituts sont également en mesure de consacrer des ressources aux levées de fonds caritatives. Ils disposent enfin d’une forte capacité de coordination pour répondre à des appels à projets d’envergure, leur permettant d’obtenir des financements très compétitifs, à l’échelle régionale, nationale et internationale. Dans ce contexte, l’effet de levier global sur les financements extérieurs est de l’ordre de 86 % sur la période 2012 – 2020.
In fine, la création des IHU a permis de répondre efficacement à des carences bien identifiées s’agissant de l’organisation et du financement de la recherche biomédicale – à savoir le déficit de recherche translationnelle, le manque de coordination entre les acteurs concernés et la pénurie des financements.
À L’HEURE OÙ LE GOUVERNEMENT S’ENGAGE SUR LA VOIE D’UNE EXTENSION DE CE MODÈLE, IL IMPORTE DE RÉUNIR LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DES INSTITUTS HOSPITALO-UNIVERSITAIRES
LES SEPT IHU LABELLISÉS : DES STRUCTURES À CONFORTER AFIN D’EN MAXIMISER L’IMPACT SUR LA RECHERCHE ET LE SOIN
1. Un modèle économique encore fragile, rendant indispensable un soutien financier durable de l’État
Le modèle sur lequel reposaient initialement les IHU partait de l’hypothèse qu’avec un financement initial non pérenne, ces derniers pourraient générer des recettes substantielles par le biais de leurs activités de valorisation, leur permettant à terme de s’autofinancer.
Or, après plusieurs années de fonctionnement, force est de constater que ce postulat se révèle assez éloigné de la réalité : les contrats industriels ne permettent pas de générer des revenus réguliers, la montée en charge des plateformes technologiques est particulièrement lente, le potentiel d’incubation des IHU demeure par définition limité et les activités de prise de brevets sont rarement très lucratives.
Les différentes évaluations réalisées partagent ainsi le constat d’un modèle économique encore inabouti. Dans ce contexte, si les IHU ont vocation à atteindre une certaine viabilité économique sans le recours aux financements des PIA à moyen terme, les rapporteurs spéciaux estiment que l’État doit continuer à les soutenir par l’octroi, à compter de 2024, d’une dotation socle renouvelable à intervalles réguliers.
La stabilisation du modèle économique des IHU passe également par une clarification des modalités de partage des recettes issues de la valorisation. Les rapporteurs spéciaux sont ainsi favorables à la désignation, pour chaque IHU, d’un mandataire unique pour les opérations de valorisation. Afin d’inciter les établissements à s’accorder rapidement sur ce point, ce dernier pourrait être érigé en condition sine qua non pour bénéficier d’une dotation socle à compter de 2024.
Plus généralement, il serait opportun de clarifier les attendus des IHU en termes de valorisation, à l’aune de l’expérience accumulée au cours des dernières années.
2. Une gouvernance à aménager pour garantir davantage de synergie entre les parties prenantes
Les IHU ont été portés par des personnalités scientifiques charismatiques et restent très étroitement identifiés à leur fondateur. Dans ce contexte, et afin de garantir leur pérennité, il convient de garantir la mise en place, dans chaque structure, d’une procédure normalisée de renouvellement des dirigeants.
En parallèle, les relations entre les IHU et leurs membres fondateurs demeurent parfois sources de tension, certains établissements publics regrettant la place limitée qu’ils occupent dans la gouvernance de ces structures. Les rapporteurs spéciaux estiment donc qu’il convient de renforcer le caractère collégial de la gouvernance des IHU, en associant plus étroitement les membres fondateurs aux prises de décisions relatives à la stratégie scientifique et aux choix d’investissement.
Enfin, la politique d’emploi menée par les IHU – avec une proportion très élevée de personnels recrutés en contrats à durée déterminée – soulève des difficultés en termes de ressources humaines, tout en faisant peser le risque employeur sur les membres fondateurs. Pour les rapporteurs spéciaux, les IHU doivent désormais s’attacher à mettre une œuvre une politique d’emploi plus soutenable et à associer plus directement les membres fondateurs aux décisions de recrutement.
3. Un impact qui reste à concrétiser en termes de soin
La collaboration opérationnelle entre les IHU et les CHU demeure souvent malaisée et peu propice au développement d’actions synergiques. Partant, l’activité des IHU n’a pas toujours permis de rapprocher autant que souhaité les enjeux de recherche et de santé, ni d’améliorer significativement la prise en charge des patients.
La diffusion des innovations jusqu’au bout du continuum recherche-valorisation-amélioration du soin constitue donc un axe d’amélioration significatif pour les IHU. Dans cette perspective, l’implication de la DGOS dans le pilotage des IHU pourrait être significativement accrue.
UN MODÈLE À RÉPLIQUER EN TIRANT LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE ACCUMULÉE AU COURS DES DIX DERNIÈRES ANNÉES
Le Gouvernement a annoncé, en juillet dernier, le lancement d’un appel à projets doté de 300 millions d’euros pour financer six nouveaux IHU. Si les rapporteurs spéciaux sont favorables à l’extension de ce modèle, ils estiment que les pouvoirs publics doivent s’attacher à créer les conditions de réussite des futurs IHU, en tirant les leçons des deux premières vagues et en préservant l’excellence de l’écosystème dans lequel ils ont vocation à prospérer.
1. Réunir les conditions de la réussite des six futurs IHU
Les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction, au cours de leurs travaux, que le succès des IHU tient notamment à l’autonomie que leur confère leur statut de fondation de coopération scientifique. Ce dernier constitue un gage de flexibilité dans les procédures, mais aussi de réactivité et de proximité pour les entreprises, tout en permettant d’attirer et de recruter de grands talents internationaux. Partant, et à rebours des choix qui ont été réalisés lors du lancement de la 2ème vague de l’appel à projets, ils estiment qu’il faut à nouveau autoriser la création de structures juridiques dotées de la personnalité morale pour porter les IHU.
Il serait également souhaitable que les projets retenus lors de la 3ème vague des IHU s’appuient sur des centres déjà bien établis, à la tête de réseaux structurés, afin de garantir un rayonnement significatif des structures labellisées. Ce critère de sélection serait à même de favoriser une bonne insertion des IHU dans leur écosystème et une diffusion large des innovations en santé.
Les rapporteurs spéciaux estiment par ailleurs que les IHU issus des deux premières vagues doivent être directement associés aux réflexions préalables au lancement du nouvel appel à projets. Enfin, l’implication des régions ayant constitué un élément déterminant dans la réussite de certains IHU, les rapporteurs spéciaux considèrent que ce facteur de succès gagnerait à être davantage pris en compte à l’avenir.
2. Préserver l’excellence de l’écosystème dans lequel ces structures ont vocation à s’insérer
Les IHU n’ont pas vocation à devenir le modèle prédominant d’organisation de la recherche biomédicale en France. Au contraire, ils doivent être appréhendés comme un outil complémentaire et accélérateur de l’écosystème existant, dont il convient donc de préserver la diversité et le caractère compétitif.
Partant, il est primordial de donner aux établissements nationaux des moyens à la hauteur des enjeux en matière de santé. Si un sursaut budgétaire semble à terme indispensable, la priorité doit être donnée dans l’immédiat à une simplification de la tuyauterie financière, afin de faciliter l’accès des chercheurs aux financements disponibles.
La mise en place de règles harmonisées entre les différents guichets d’appels à projets constituerait une première avancée notable. À plus long terme, il serait judicieux d’établir un mécanisme de coordination des appels à projets financés dans le champ de la santé, en garantissant une plus grande cohérence dans les programmations des différents guichets et en rendant possible la mobilisation conjointe, pour les porteurs de projets, des fonds du Mesri et du MSS.
LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS
Recommandation n° 1 : à compter de 2024, continuer à octroyer des moyens récurrents aux IHU, sur le modèle d’une dotation socle renouvelable à intervalles réguliers, de manière à conditionner le maintien du label et des financements aux résultats obtenus lors des évaluations (MSS, Mesri).
Recommandation n° 2 : ériger la désignation d’un mandataire unique au sein de chaque IHU en condition sine qua non pour bénéficier d’une dotation socle à compter de 2024 (SGPI, MSS, Mesri).
Recommandation n° 3 : clarifier les attendus des IHU en matière de valorisation et définir des lignes directrices applicables à l’ensemble des structures (SGPI).
Recommandation n° 4 : mettre en place, au sein de chaque IHU, une procédure normalisée de renouvellement des dirigeants (IHU).
Recommandation n° 5 : renforcer le rôle accordé au conseil d’administration des IHU et associer plus étroitement les membres fondateurs aux décisions relatives à la stratégie scientifique et aux choix d’investissement (IHU).
Recommandation n° 6 : mettre en œuvre une politique d’emploi plus soutenable et associer davantage les membres fondateurs aux décisions de recrutement (IHU).
Recommandation n° 7 : renforcer l’implication du ministère de la santé dans le pilotage des IHU, pour garantir une meilleure diffusion des innovations permettant d’améliorer la prise en charge des patients (MSS, SGPI).
Recommandation n° 8 : autoriser les projets d’IHU à se construire sur une fondation de coopération scientifique (SGPI, comité de pilotage des IHU).
Recommandation n° 9 : sélectionner prioritairement les projets d’IHU portés par des structures déjà bien établies, à la tête de réseaux structurés, afin de favoriser une diffusion large des innovations en santé (comité de pilotage des IHU).
Recommandation n° 10 : associer les sept IHU existants aux travaux préalables au lancement du nouvel appel à projets IHU (SGPI).
Recommandation n° 11 : réfléchir à des modalités normalisées d’association des régions au pilotage et au financement des IHU (SGPI, comité de pilotage des IHU).
Recommandation n° 12 : créer un portail unique de référencement des appels à projets dans le secteur de la santé, et harmoniser les règles entre les différents guichets (Mesri, MSS).
Recommandation n° 13 : établir un mécanisme de coordination des appels à projets financés dans le champ de la santé, pour garantir une plus grande cohérence dans les programmations des différents guichets (Mesri, MSS).