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Et si la santé publique était maintenant l’affaire de tous…

Et si la santé publique était maintenant l’affaire de tous… En huit questions, François Bourdillon, ancien directeur de Santé Publique France. nous livre son analyse de la gestion de l’épidémie de Covid-19 par l’Agence Nationale.

Et si la santé publique était maintenant l’affaire de tous…  Entretien par les Presses de EHESP avec François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016à 2019 et auteur de Agir en santé publique. De la connaissance à l’action (2020).

Vous avez été le premier directeur général de Santé publique France. Quelle a été la genèse de cette agence sanitaire ?

Santé publique France a été créée en 2016 sous l’impulsion de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui souhaitait que la France dispose, à l’instar des pays développés, d’une agence nationale de santé publique à l’image des Centers for Disease Control and Prevention états-uniens ou du Public Health England. Il s’agissait de rassembler l’ensemble des fonctions de santé publique assurée par diverses agences sanitaires afin de leur donner une cohérence et d’impulser, autant que faire se peut, un continuum entre toutes ces fonctions. C’est ainsi qu’en 2014 la ministre m’a confié la préfiguration de l’agence nationale de santé publique regroupant l’Institut de veille sanitaire (InVS), qui assure les fonctions veille, alerte et surveillance, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), dont le rôle est de promouvoir la santé de la population, et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) qui a la charge d’organiser la réponse aux situations sanitaires exceptionnelles.

Quelles ont été les principes fondateurs de Santé publique France ?

Le rapport de préfiguration de 2015 a permis de jeter les fondations de l’agence et notamment de définir ses valeurs et principes. La ligne de force de Santé publique France a été construite autour de l’axe « Populations ». Plusieurs principes ont été retenus : l’excellence et l’indépendance scientifiques et la transparence des avis, l’ouverture vers la société, la territorialité, le fonctionnement en réseau et le partenariat, et enfin l’opérationnalité.

Avec la création de Santé publique France, des progrès ont-ils été réalisés notamment en matière de prévention ?

L’épidémiologie était très performante au sein de l’InVS. Santé publique France disposait donc dans ce domaine de solides fondations. Le rapprochement avec la prévention a amené à développer une surveillance beaucoup plus ouverte vers l’action et à travailler sur la base d’indicateurs permettant de mesurer le chemin accompli pour améliorer la santé de la population. L’intégration de nos données au sein d’un observatoire cartographique (Géodes) rend accessible l’ensemble de nos données soit de manière brute, soit sous forme d’indicateurs.

En prévention, le développement du marketing social sur une base scientifique a permis de changer d’échelle. Il s’agit d’utiliser l’analyse de la connaissance, des attitudes et des comportements des Français et de mobiliser l’ensemble des moyens d’action disponibles pour les amener à modifier leurs comportements. Dit d’une autre manière, c’est modifier les environnements pour faire évoluer les comportements. Ainsi, le marketing social a été appliqué dans la prévention du tabagisme, de la consommation d’alcool, en nutrition ou encore la promotion des vaccinations avec beaucoup de succès.

S’agissant de la réponse, la volonté a été de mobiliser au mieux la réserve sanitaire pour faire face aux crises. En 2017, la mobilisation des réservistes a été équivalente à celle de dix ans de fonctionnement de l’EPRUS.

Nous sommes en pleine épidémie de COVID-19, les fonctions de l’ex-Eprus de préparation et de réponse aux crises sanitaires avec la réserve sanitaire ont été très mobilisées. Quel est votre regard sur sa prise en compte depuis la création de l’Agence ?

Disposer d’une réserve sanitaire est un atout considérable pour notre pays. Cette structure est très enviée au niveau de l’Europe. Les réservistes sont des professionnels de santé (médecins, soignants, techniciens de laboratoire, manipulateurs radio…) volontaires, soit en activité soit à la retraite (depuis moins de 5 ans), qui souhaitent renforcer le système de santé en cas de crise. Ils sont formés pour faire face à des situations difficiles. Les professionnels de santé en activité doivent avoir l’autorisation de leur employeur. Santé publique France organise la logistique, prend en charge le transport et l’hébergement pour des missions en moyenne d’une semaine. Ils ont, en effet, été très mobilisés en cette période de crise du COVID-19. Ainsi, plus de 8 000 jours/homme ont été mobilisés pour renforcer les structures de soins sur l’ensemble du territoire (y compris en Outre-Mer), ce qui est considérable ! Toutefois, cela n’a pas permis de répondre à tous les besoins, notamment les demandes d’une ou quelques journées de remplacement (les réservistes partent au minimum une semaine et parfois pour un mois). C’est pour cela que d’autres plateformes ont été mobilisées par le ministère et des agences régionales de santé (ARS). Ces mécanismes sont complémentaires mais ressemblent plus à des structures d’intérim.

L’épidémie de COVID19 est inédite. Selon vous, quels sont les besoins de santé publique à mettre en œuvre ?

Les premières étapes en vue de contenir une épidémie correspondent au lancement d’alerte, puis à l’identification des cas pour faire du contact tracing, c’est-à-dire remonter les chaînes de transmission pour confiner les cas positifs et ceux suspects. Il s’agit aussi de disposer de données de surveillance, d’indicateurs permettant, d’une part, de mesurer l’ampleur de l’épidémie et, d’autre part, d’organiser le pilotage de la réponse. À ce stade, la mobilisation des épidémiologistes de terrain est déjà majeure. Une fois l’épidémie généralisée (la fameuse phase 3), les épidémiologistes, afin de garder la réactivité nécessaire, comptent les cas symptomatiques sans attendre les confirmations des tests biologiques.

Ce qui est nouveau pour cette pandémie de COVID-19, c’est qu’il convient de mettre en place un système de sécurité sanitaire inédit. Nous avons besoin de réaliser des tests biologiques à large échelle auprès des personnes symptomatiques, des cas suspects, des personnes ayant été en contact avec des personnes atteintes du COVID-19. Il faut pouvoir confiner tous ceux qui doivent l’être, suivre leur état de santé, bref faire un travail d’épidémiologie de terrain de grande ampleur.

Au-delà du système de soins, Il convient aussi de renforcer les ressources humaines de ce nouveau dispositif de santé publique afin d’assurer le contact tracing, le suivi des personnes confinées…

Ce sont donc des centaines de personnes dont Santé publique France et les ARS ont besoin. Et, bien sûr, il faut disposer des moyens nécessaires pour réaliser des tests et les faire analyser par des laboratoires. Le système monte en puissance, mais c’est bien tardif au regard de ce que nos voisins européens, en particulier l’Allemagne, ont réalisé.

Cette crise aurait-elle pu être évitée avec davantage de prévention ?

Nous sommes face à une maladie infectieuse émergente, à une maladie inconnue dont il faut tout apprendre et tout découvrir : le virus en cause, ses formes cliniques, sa gravité, ses modes de transmission, sa période d’incubation… La préparation pour faire face à une pandémie a été menée dans le cadre d’un risque de pandémie grippale. C’est ainsi qu’en octobre 2011, un plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale proposait une aide à la préparation et à la décision. Cela a été clairement insuffisant pour répondre à une pandémie virale d’infection respiratoire. Aucun pays au monde n’était d’ailleurs préparé. En quelques mois, la pandémie est devenue mondiale. Pour atténuer son ampleur, le confinement, la réalisation de tests, la distanciation sociale et le port du masque sont les éléments clés.

Confiner, tester, faire respecter la distanciation sociale et porter un masque sont les mesures cardinales de la prévention de l’épidémie de COVID-19.

En quoi y aura-t-il un avant et un après pour l’agence nationale, la santé publique et le système de santé?

À chaque crise sanitaire –et elles ont été nombreuses –, les retours d’expérience font évoluer le dispositif de sécurité sanitaire. Il y aura forcément un après. Pour le système de soins, les efforts devront porter sur la disponibilité des lits, le matériel de protection des soignants, les besoins en respirateurs, en produits de santé, en capacité de tests biologiques. J’ajoute que le modèle économique du fonctionnement de l’hôpital sera réinterrogé.

Sur le plan logistique, ce sont les chaînes d’approvisionnement dans un monde totalement mondialisé qu’il faudra revoir.

En santé publique, les réformes viseront probablement l’articulation entre l’expertise et la décision, la définition des stocks stratégiques, les ressources humaines en épidémiologie de terrain, ainsi que les capacités de mobilisation de la réserve sanitaire.

Peut-on dire que l’État a enfin saisi le rôle central que joue la santé publique dans nos systèmes et l’effort financier qu’il faut y sacrifier?

Le président de la République, Emmanuel Macron, à Mulhouse le 25 mars a annoncé qu’«un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital». C’est très attendu, car l’hôpital est en grande souffrance. Cependant, il faudra veiller à ne pas accentuer le travers bien français qui consiste à privilégier le soin à la prévention. La santé publique et en particulier la prévention ont besoin également de moyens si on veut, demain, avoir un dispositif de sécurité sanitaire en capacité d’anticiper et de faire face aux crises à venir.

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