En réponse à l’épidémie d’Ebola qui a sévi de 2014 à 2016, le développement clinique d’un schéma vaccinal à deux doses comprenant les vaccins Ad26.ZEBOV et MVA-BN-Filo a été accéléré. Ce schéma approuvé dès 2020 par la commission européenne pour une utilisation en situation d’urgence épidémique continue à démontrer son intérêt. Une étude de l’Inserm menée sous la direction de Rodolphe Thiébaut (Inserm, INRIA, Université de bordeaux, Vaccine Research Institute) a ainsi contribué à l’évaluation de l’innocuité et l’immunogénicité de ce vaccin chez des adultes sains ou infectés par le VIH. L’étude a aussi permis de comparer différents intervalles de temps entre les deux doses. Cette étude a confirmé la bonne tolérance de ce schéma vaccinal et l’acquisition d’anticorps persistants au moins un an et facilement réactivables par une nouvelle injection de rappel. Les résultats de cet essai sont parus dans Plos Medicine.
Depuis sa découverte en 1976 le virus Ebola a été retrouvé dans plusieurs pays d’Afrique équatoriale avec des épidémies de plus en plus fréquentes (plus de 30 comptabilisées à ce jour).
L’infection se déclare sous forme d’état grippal mais se complique souvent entrainant des défaillance d’organes et des hémorragies potentiellement mortelles. Lors de la plus importante épidémie en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, 28 616 cas ont été recensés entrainant 11.310 décès. Au cours de cette épidémie, un premier vaccin à dose unique a obtenu une autorisation et a été utilisé sur le terrain (Ervebo).
Deux doses contre Ebola
En parallèle, le laboratoire Janssen a lancé le développement accéléré d’un autre schéma vaccinal[1]. Il s’agit d’administrer deux doses différentes ; la première avec le vaccin Janssen Ad26.ZEBOV composé d’un vecteur adénoviral renfermant la protéine d’enveloppe du virus Ebola Zaire déclenchant la production d’anticorps, et la seconde avec le vaccin MVA-BN-Filo de la société Bavarian Nordic utilisant un autre vecteur viral et renfermant quatre antigènes différents de virus de la famille du virus Ebola, dont la glycoprotéine du virus Ebola Zaire.
« L’utilisation du vecteur viral permet de faire pénétrer l’antigène du virus Ebola (la glycoprotéine) dans les cellules immunitaires tel un cheval de Troie, pour déclencher la réponse immunitaire. Avec cette stratégie de double administration, nous supposions que la réponse immunitaire serait plus durable qu’avec un vaccin à dose unique », précise Rodolphe Thiébaut, directeur d’équipe Inserm et Professeur de Santé Publique à l’Université de Bordeaux, qui participe à ce programme de développement accéléré EBOVAC.
Cette hypothèse vient d’être validée par la publication des résultats d’un essai clinique de phase II (EBOVAC 2) destiné à évaluer la sécurité d’utilisation et l’immunogénicité de ce vaccin chez des personnes saines ou porteuses du VIH vivant en Afrique. Entre temps, ce schéma vaccinal avait été approuvé en juillet 2020 par l’agence européenne du médicament chez l’adulte et l’enfant de plus d’un an, sur la base des données déjà disponibles.
Néanmoins le développement de ce schéma vaccinal se poursuit sur différentes populations (adultes, enfants, femmes enceintes, soignants), dans différentes régions du monde (pour confirmer le profil de tolérance et de réponse immunitaire robuste dans différentes population) et avec des durées de suivi différentes, pour confirmer les données préliminaires et évaluer la pertinence d’une utilisation en prévention chez des populations potentiellement exposées au virus, notamment les populations rurales dans les pays d’Afrique équatoriale. Le but étant de prévenir l’apparition d’une nouvelle épidémie.
« Les épidémies sont générées par le passage du virus de la chauve-souris à l’homme mais leur progression est facilitée par la mobilité des individus qui augmente grâce aux progrès des infrastructures » prévient Rodolphe Thiébaut et « disposer de vaccins testés en Afrique avec la collaboration des équipes de recherche des pays africains pour protéger les populations est un enjeu majeur de développement pour nos pays aux ressources hospitalières et aux moyens limités» renchérit Houreratou Barry, médecin investigateur responsable de l’essai au Centre Muraz à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso.
Cet essai de phase 2 va dans ce sens. Il a inclus 668 adultes de 18 à 70 ans en bonne santé et 142 personnes de 18 à 50 ans infectées par le VIH (une affection répandue dans les populations africaines susceptible d’influencer la réponse immunitaire au vaccin) mais avec une charge virale contrôlée par une thérapie anti-virale. Les participants ont été recrutés au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et en Ouganda. Ils ont reçu le vaccin ou une solution placébo selon le schéma suivant : une dose d’Ad26.ZEBOV ou placébo, suivi 28, 56 ou 84 jours après du MVA-BN-Filo ou d’un placébo. Dans la cohorte de sujets sains, 90 personnes ont par ailleurs reçu une dose supplémentaire de rappel d’Ad26.ZEBOV un an plus tard.
Les chercheurs ont analysé les déclarations d’événements indésirables sur l’année de suivi ainsi que l’évolution des taux d’anticorps dirigés contre la glycoprotéine du virus Ebola. Aucun événement indésirable grave imputable au vaccin n’a été constaté, seulement des évènements légers à modérés fréquents en cas de vaccination ; douleur au site d’injection, fatigue, maux de tête ou douleurs musculaires.
L’augmentation de l’intervalle entre les vaccinations de 28 à 56 jours a amélioré la réponse immunitaire et les anticorps ont persisté jusqu’à au moins un an chez les sujets sains et ceux porteurs du VIH. Ces anticorps ont été retrouvés chez 78 à 88 % des participants. Prolonger l’intervalle à 84 jours n’a pas apporté de bénéfice supplémentaire, prolongeant inutilement le calendrier de vaccination, ce qui a confirmé l’intervalle de 56 jours comme optimal pour ce schéma vaccinal.
En outre, le rappel un an plus tard a largement stimulé la production d’anticorps avec des taux multipliés par 55, indiquant que la première vaccination a déclenché une réponse immunitaire mémoire facilement réactivable, « ce qui est très important dans le contexte des épidémies récurrentes observées en Afrique », conclut Rodolphe Thiébaut.
[1] Soutenu par le programme européen EBOLA+ d’IMI (une initiative conjointe de la Commission Européenne et de l’EFPIA) dans le cadre d’un consortium avec les équipes académiques de l’Inserm, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, de l’université de Oxford et du Centre Muraz au Burkina Faso. Ce projet a été financé par l’initiative conjointe Innovative Medicines Initiative 2 (www.imi.europa.eu) dans le cadre de la convention de subvention EBOVAC2 n° 115861. Cette initiative conjointe bénéficie du soutien du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne et de la Fédération européenne d’associations et d’industries pharmaceutiques (EFPIA).