Alcoolisme-notre-environnement-influe-sur-les-gènes-santecool

La 5ème journée scientifique de l’Ireb (Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons), qui s’est tenue le 3 décembre 2014 à Paris, a été consacrée à l’analyse des interactions entre l’inné et l’acquis et leurs rôles dans les conduites d’alcoolisation. Dix scientifiques et chercheurs ont présenté une synthèse des recherches les plus récentes sur le sujet ainsi que de leurs propres travaux sur les gènes et l’alcoolisme. Résultats.

Organisée sous la direction de trois membres du comité scientifique de l’Ireb1, cette journée a été introduite par Richard Tremblay, professeur émérite de pédiatrie, psychiatrie et psychologie à l’Université de Montréal et conclue par Rainer Spanagel, directeur de l’Institut de psychopharmacologie au centre de santé mentale de l’université d’Heidelberg.

 

Après avoir mis en lumière, à partir de nombreuses études conduites au Canada, les facteurs génétiques et environnementaux influençant les conduites disruptives (agression notamment mais aussi abus de substances dont l’alcool), Richard Tremblay a souligné que les analyses épigénétiques commencent à identifier des mécanismes biologiques par lesquels l’environnement a un impact substantiel sur le développement biologique, psychologique et social des individus. Les interventions psycho-sociales qui améliorent l’environnement au bon moment et avec la bonne intensité pourraient avoir selon lui un impact systémique sur l’expression des gènes. Les effets de l’environnement sur le développement humain, en interaction avec le potentiel génétique, semblent en outre fortement intergénérationnels et fortement liés au développement « bio-psycho-social » des mères. Dans ce cadre, la prévention des problèmes sérieux d’adaptation (agression, abus de substance) doit prendre une perspective intergénérationnelle et démarrer dès le début de la grossesse.

 L’alcoolisme peut être induit dès le plus jeune âge

La première session animée par Marie Choquet, présidente du comité scientifique de l’Ireb, a été dédiée aux données épidémiologiques, familiales et sociétales. Concernant les facteurs familiaux des conduites addictives, Maria Melchior, docteur en sciences (université de Harvard) et chargée de recherche à l’Inserm, souligne que les données d’études françaises confirment que la transmission intergénérationnelle des problèmes d’alcool commence dès le plus jeune âge. Les personnes qui ont des consommations d’alcool à risque ont souvent des parents qui ont eu eux-mêmes des problèmes liés à l’alcool : les mécanismes génétiques et environnementaux interagissent dans ce cas.

 Fini le déterminisme

Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à l’université Paris Sorbonne-Paris IV et président du Collège de philosophie, rappelle pour sa part que l’homme n’a de cesse de tenter de se définir avec trois grandes explications : par sa nature (l’inné), par son histoire (l’acquis) ou encore par sa liberté. Il met en garde le monde sanitaire contre une approche purement déterministe qui prendrait le risque d’oublier le sujet, sa liberté et sa subjectivité.

La session consacrée aux facteurs génétiques impliqués dans la diversité des comportements et risques face à l’alcool montre que l’héritabilité des addictions ne pèse que pour 50 % environ et qu’il reste donc une part non négligeable à des facteurs non-génétiques. Philip Gorwood, membre du comité scientifique de l’Ireb, a rappelé que le premier criblage du génome pour la consommation d’alcool a permis d’évaluer quelque 2,5 millions de variants génétiques sans apporter, à ce stade, de résultats très probants ; si certains variants sont associés à une consommation plus importante, les effets observés sont de taille modeste. Nicolas Ramoz, docteur en sciences (biologie moléculaire) et chargé de recherche à l’Inserm, indique, à partir de l’analyse d’une trentaine d’études, que les gènes identifiés aujourd’hui sont souvent impliqués non seulement dans l’alcoolo-dépendance mais aussi dans d’autres dépendances. De nouvelles voies biologiques associées à l’alcoolisme ont été récemment caractérisées avec une implication potentiellement forte de l’épigénétique.

 Quand nos gènes sont modifiés

Les données de l’épigénétique, dans les modèles animaux et chez l’homme, ont été introduites par Michel Hamon, vice-président du comité scientifique de l’Ireb. L’analyse des mécanismes épigénétiques induits par la prise d’alcool, voire d’autres substances, laisse à penser qu’il devrait être possible de les contrôler par diverses approches, pharmacologiques et environnementales. Laurence Lanfumey, directeur de recherche à l’Inserm, explique comment l’alcool agit sur les phénomènes complexes de l’épigénétique. Elle montre par exemple que la prise chronique d’alcool chez certaines lignées de souris induit des modifications épigénétiques qui altèrent les performances cognitives des animaux. Marcello Solinas, chargé de recherche au CNRS, a montré pour sa part comment il était possible, chez le rat, de traiter des addictions par la stimulation environnementale. En plaçant l’animal dans un environnement enrichi (par opposition à une cage standard), on observe un taux de « rechute » deux fois moins important après sevrage. L’environnement enrichi montre aussi une action préventive chez des animaux jeunes.

En conclusion, Rainer Spanagel a présenté une approche convergente des différentes disciplines scientifiques au service de traitement du risque alcool. Il rappelle, dans une perspective historique, que nos ancêtres ont commencé à métaboliser l’alcool contenu dans les fruits (qui peuvent fermenter) il y a 10 millions d’années. Nous avons ainsi développé un appareil génétique qui considère l’alcool comme marqueur d’une source valable d’apport calorique. Les asiatiques ont mis au point des boissons fermentées il y a plus de 9 000 ans. Il rappelle ainsi que la culture est plus forte que la biologie. Pour illustrer l’approche convergente, il a montré ensuite comment l’identification d’un gène associé à une consommation excessive d’alcool (RASGRF2) chez l’homme (mais pas chez la femme) avait pu être en partie validée dans un modèle animal et conduire à élucider les circuits neuronaux activant la libération de la dopamine (via le système glutamatergique). L’expression de près de 170 gènes impliqués dans la transmission glutamatergique semble altérée chez les animaux dépendants, ce qui remet en lumière la théorie glutamatergique de la dépendance à l’alcool et peut ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques dans la prise en charge de certains patients.

1 Marie Choquet, présidente du comité scientifique de l’Ireb, docteur en psychologie, épidémiologiste et directeur de recherche honoraire à l’INSERM (U669) sur la santé des adolescents ; Philip Gorwood, psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier, directeur de l’unité sur la vulnérabilité génétique dans les addictions au Centre de Psychiatrie et Neurosciences (INSERM U894) de l’hôpital Sainte Anne à Paris et chef de service à la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale (CMME) ; Michel Hamon, Vice-président du comité scientifique de l’Ireb, normalien, docteur ès sciences et professeur émérite de neuropharmacologie à l’université Pierre et Marie Curie à Paris.